Photographies de Carline Bourdelas au château Mourgues du Grès

A l’invitation de Photo Days et après s’être intéressée à Marcel Proust dans le cadre d’une résidence Photo4food pour le Festival Planches Contact en 2023, Carline Bourdelas réalise une série pour la Rotonde Balzac sur la folie et le génie de l’artiste en s’inspirant du Chef d’œuvre inconnu.
Ce cours récit publié pour la première fois dans la revue de l’Artiste en Aout 1831 ne sera intégré à la Comédie Humaine qu’en 1846. Il met en scène un personnage imaginaire, le vieux maitre Frenhofer et deux figures historiques, le flamand François Pourbus et le très jeune Poussin.
Ce qui attire Carline Bourdelas dans ce texte, pourtant terriblement conventionnel, c’est le thème de l’œuvre invisible. Elle n’existe et n’est parfaite que dans l’imagination du peintre. L’Art avec une majuscule est un absolu. Mais il se confond dans l’imaginaire de l’artiste avec une femme dont on ne sait si elle est rêvée ou bien réelle. Cette femme, Carline Bourdelas l’a-t-elle rencontrée ? Apparition fugace elle émerge d’un monde singulier ou les plans se mêlent ou jaillissent parfois des détails réalistes. Et de ce chaos émerge cette sublime créature à l’incroyable chevelure rousse.

Cette fascination pour la figure féminine est cependant inséparable de l’atelier dans lequel elle apparait ; le héros de Balzac insiste sur « le charme de ce lieu où se révèlent quelques-uns des procédés matériels de l’art » où le fatras des outils de la création ne laissent subsister qu’un étroit chemin symbole de la complexité d’un monde où la figure de l’idéal reste empêtrée dans la réalité matérielle de l’atelier. Réalité permanente de l’atelier ou travaille l’artiste que l’on retrouve un siècle et demi plus tard dans l’espace encombré de l’atelier de Ronan Barrot que Carline Bourdelas a photographié.
On est loin aujourd’hui de la cuisine de cette peinture « pleine de demi-teintes et de glacis » de cette « pate souple et nourrie » des peintres de la renaissance italienne que décrit Balzac.
C’est de cette tambouille du peintre pourtant ignorée et condamnée aujourd’hui, qu’émerge la figure lumineuse de la « femme apparence » découpée dans le réel, issue elle aussi de multiples manipulations de la technique photographique, elle montre bien que le travail de l’atelier reste toujours au cœur de la création.
Texte d'Alain Sayag